Les organismes génétiquement
modifiés (OGM) font peser une grave menace
sur la
biodiversité, et entraineraient même
la disparition de l'agriculture biologique,
les paysans n'ayant pas de moyen de se protéger
efficacement. Quant aux consommateurs, ils risquent
de ne trouver que de plus en plus difficilement
et
à des prix très élevés,
des
aliments garantis sans OGM...
Tout
cela risque malheureusement de devenir réalité,
si la communauté européenne décide,
dans les premières semaines de 2004,
de lever la mesure de sursis votée en
juin 1999. Certains pays de la communauté
européenne avaient réussi alors
à faire adopter un moratoire suspendant
pendant quatre ans toute autorisation de mise
sur le marché de produits contenant des
OGM, tant qu'aucune réglementation en
matière de traçabilité
et d'étiquetage n'aurait été
adoptée. Mais une directive à
ce sujet ayant été votée,
la communauté européenne devrait
incessamment se prononcer. En décembre
2003, elle s'est donné trois mois supplémentaires
pour se prendre une décision...
Pourquoi
refuser les OGM ?
Le
problème principal avec les OGM, c'est
qu'il s'agit de manipulations génétiques
qui laissent encore de nombreuses questions
sans réponses, et dont la nécessité
reste toujours à démontrer. Comment
se comporteront-ils dans quelques années
? Quelles seront leurs conséquences sur
la planète ? Sur les animaux et les humains
? C'est un jeu d'apprentis-sorciers qui pourrait
bien nous exploser à la figure, au moment
où il n'y aurait plus rien à faire
En attendant que de réels moyens soient
mis en oeuvre pour mener les investigations
tous azimuts qui s'imposent, il semble indispensable
de faire jouer le principe de précaution,
Pourtant, il y a déjà de plus
en plus de cultures OGM dans le monde : on cultivait
en 2001 52,6 millions d'hectares de plantes
transgéniques, contre 1,7 million en
1996. Les principales cultures OGM sont le soja,
le maïs, le coton, le colza, le tabac.
Plus des deux tiers des terres se trouvent aux
Etats-Unis, les autres sont en Argentine, au
Canada, en Australie, en Afrique du sud, en
Chine, en Inde et au Japon. L'Europe est encore
en quelque sorte le dernier rempart contre cette
déferlante
Les pro OGM justifient leurs manipulations par
trois grandes raisons : ils vont polluer moins,
nourrir le monde, et pallier à des problèmes
techniques comme les insectes ou les "
mauvaises herbes ".
Les
OGM ne se justifient pas
Pourtant,
les premières études faites avec
un peu de recul sur les cultures OGM (rapport
de la Soil Association Seeds of doubt.) montrent
que les OGM sont loin d'être la panacée
annoncée : rendements en baisse,
consommation d'herbicides en hausse, développement
de résistances aux herbicides pour les
repousses...
En fait, la culture des OGM va de paire avec
une forme d'agriculture totalement industrielle.
En changeant de logique, c'est-à-dire
en respectant les équilibres écologiques,
des dimensions humaines, le rythme des saisons,
bref en pratiquant une agriculture biologique,
on apporte une réponse beaucoup moins
risquée aux problèmes soulevés
pour justifier les OGM. (Lire les ouvrages de
l'agronome Pierre Rhabi, par exemple "
Parole de terre ", éd. Albin Michel,
ou "Le recours à la terre ",
éd. Terre du Ciel). Voir aussi la
position du professeur Gilles-Eric Seralini
dans notre dossier sur le riz
Pourquoi alors fabriquer des OGM ? Il faut en
fait chercher les justifications ailleurs, du
côté des logiques de pouvoir et
d'argent... Imaginer que l'on puisse permettre
à quelques uns de s'approprier le matériel
génétique de toute la planète,
de le monnayer et de l'appauvrir devrait être
inconcevable, mais c'est un dessein que certains
ont tout à fait conçu
!
(Lire à ce sujet "OGM, le vrai
débat", du professeur Gilles-Eric
Seralini, collection Dominos chez Flammarion)
Quels
sont les risques ?
Le risque principal, ce sont les effets indésirables
des OGM, non mesurés à ce jour
faute d'expérimentations complètes.
On a par exemple constaté des infertilités
chez des truies nourries au maïs OGM
aux Etats-Unis, problèmes qui se sont
résorbés dès le retour
à une alimentation non transgénique.
En Inde, les paysans ont de plus en plus de
mal à cultiver le coton Bt, et s'endettent
en insecticides
En janvier 2002, l'Agence Française pour
la Sécurité Sanitaire des Aliments
(AFSSA) demandait des analyses plus approfondies
sur les effets sanitaires à long terme
des OGM. Elle soulignait en particulier l'actuel
manque de tests à faibles doses sur
les animaux, afin d'étudier les effets
sur les organes vitaux.
L'Agence des Normes Alimentaires du Royaume
Uni a publié aussi les résultats
d'une étude démontrant que les
gènes introduits dans les plantes transgéniques
peuvent non seulement survivre dans l'intestin
humain, mais également être transférés
aux bactéries intestinales. Quand on
sait que des gènes résistants
aux antibiotiques sont très souvent utilisés
dans les plantes transgéniques, on peut
s'inquiéter
Voilà pourquoi aujourd'hui il semble
extrêmement prématuré d'autoriser
la commercialisation et la culture d'OGM.
Voilà pourquoi on ne peut pas laisser
les cultures transgéniques risquer de
coloniser irrémédiablement toute
la planète
Contamination
incontournable
Aujourd'hui, plus personne ne conteste que les
plantes génétiquement modifiées
peuvent contaminer leurs voisines conventionnelles.
Or on ne connaît à ce jour aucun
moyen de dépolluer une plante contaminée
Il y a deux voies de contamination : d'abord
une façon " naturelle ", rien
ne pouvant empêcher le vent ou les abeilles
de transporter les pollens des OGM et de le
déposer sur des plantes saines, les contaminant
irrémédiablement. Le pollen du
colza, par exemple, peut être dispersé
au-delà de 4 kilomètres. Ainsi,
il n'y a quasiment plus de colza biologique
au Canada, du fait d'une contamination transgénique
pratiquement systématique. La deuxième
voie de contamination, c'est la dispersion accidentelle
de semences de plantes transgéniques,
soit par des oiseaux, soit lors du transport
.
Des
études attestent de la réalité
de ces risques. Le Centre Commun de Recherche
de l'Union Européenne a par exemple publié
en janvier 2002 un rapport sur la coexistence
des agricultures génétiquement
modifiée, conventionnelle et biologique.
Ses conclusions montrent que la contamination
serait inévitable, dès lors que
les cultures OGM seraient autorisées.
L'arrêt
de mort de l'agriculture biologique
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que si
la culture des OGM se développait, plus
aucun champ ne serait à l'abri d'une
contamination. Aucune mesure de protection
n'étant efficace, petit à petit,
la contamination OGM ferait effet boule de neige,
de plus en plus de plantes seraient contaminées,
qui à leur tour en contamineraient d'autres,
etc
A terme, on peut craindre qu'il
n'y ait plus de variétés exemptes
d'OGM
.
Et donc, plus aucun agriculteur ne pourrait
garantir que sa production est exempte d'OGM.
Or, c'est une condition sine qua non à
la certification AB
Seule solution pour
les agriculteurs bio : faire contrôler
systématiquement toutes leurs récoltes,
ce qui entraînerait des surcoûts
importants !
Le rapport du Centre Commun de Recherche de
l'Union Européenne estime que ces coûts
visant à protéger les cultures
non OGM, se reporteraient sur tous les exploitants,
conventionnels comme bio. Achat systématique
de semences certifiées non OGM, contrôles
renforcés, assurances, sans compter la
complexification des pratiques nécessaires
pour préserver la filière non
OGM
Ces coûts seraient de l'ordre
de 1 à 10%, par exemple plus de 9% pour
la production du maïs et jusqu'à
plus de 41% pour la production de semences de
colza bio.(http://natpro.be/prapport.htm)
!
Une autre étude, réalisée
au Danemark et présentée au Parlement
danois en janvier 2003, estime les coûts
supplémentaires entre 8 et 21% .
La
victime sommée de payer !
Quoi qu'il en soit, les mesures prises et justifiant
ces surcoûts ne nous mettront pas totalement
à l'abri d'une contamination !
Non seulement il faudra payer plus pour tenter
de se protéger, mais les agriculteurs
bio ne seront pas dédommagés des
éventuelles contaminations ! C'est ce
qui s'est passé pour Joaquin Resano,
agriculteur bio en Navarre, au nord de l'Espagne.
Il y cultive du maïs depuis des années.
En mai 2002, le comité régulateur
d'agriculture biologique a constaté que
la récolte de l'automne 2001 était
contaminée par les OGM, vraisemblablement
par transfert de pollen d'un maïs transgénique
autorisé à la culture en Espagne
en 1998. Cet agriculteur a donc perdu le droit
de vendre son maïs sous le label "
bio ", bien qu'il n'ait pas utilisé
de produits chimiques et qu'il ait suivi toutes
les normes de l'agriculture biologique. Il a
donc été obligé de le revendre
aux filières conventionnelles à
plus petit prix. Il n'a reçu aucune compensation
pour son manque à gagner
Au Canada, ce sont 950 cultivateurs de colza
bio qui ont été touchés
! On estime leurs pertes à plus de 14
millions de dollars
Les
pollueurs pas payeurs
Il n'y a pas de législation européenne
en matière de responsabilité environnementale
ou civile en ce qui concerne les OGM. Par conséquent,
l'agriculteur bio qui verra ses cultures contaminées
et ne pourra pas faire certifier ses produits
n'aura aucun recours pour être indemnisé
pour son manque à gagner. L'Union
Européenne reconnaît qu'il y a
un problème de coexistence entre les
agricultures bio et OGM. Mais elle a décidé
de ne pas légiférer en la matière
et de plutôt laisser gérer cela
par les états membres, comme bon leur
semble !
Ainsi, situation ubuesque, des agriculteurs
canadiens contaminés ont été
condamnés à payer pour "
violation de brevet " !
C'est le cas de Percy Schmeiser, agriculteur
(conventionnel) au Saskatchewan (Canada). Ses
champs de colza furent contaminés par
une variété transgénique
de la compagnie Monsanto. Cette dernière
a lancé une procédure juridique
contre Percy Schmeiser pour " violation
de brevet " , et le juge a arbitré
en faveur de la compagnie ! Il a expliqué
que peu importait pourquoi et comment, il y
avait violation du brevet de Monsanto ! Percy
Schmeiser fut donc condamné à
payer une amende de plus de 170 000 dollars
canadiens et à rendre toutes ses semences
à la compagnie. Ce septuagénaire,
qui a dû hypothéquer sa ferme,
poursuit sa lutte contre Monsanto et contre
le jugement. La Cour fédérale
a maintenu la décision de justice originale,
c'est la Cour Suprême du Canada qui va
bientôt devoir statuer.
(" La bataille de David contre Goliath
", site web de Percy Schmeiser : http://www.percyschmeiser.com)
Que
peut-on faire?
Il
est certain que l'agriculture bio telle qu'elle
existe aujourd'hui disparaîtra à
jamais si les OGM sont commercialisés
à grande échelle sans mesures
radicales pour réduire les conséquences
au minimum.
La FNAB (fédération nationale
de l'agriculture biologique en régions)
estime en particulier qu'une législation
interdisant les cultures OGM dans un périmètre
donné autour des cultures biologiques
pourrait permettre de bloquer les OGM
à condition qu'il y ait suffisamment
de " bios " répartis sur tout
le territoire national ! Certains maires commencent
à prendre des arrêtés en
ce sens.
En
2003, la mobilisation a été forte
contre la levée du moratoire, de nombreuses
pétitions ont été lancées,
par exemple par le réseau des magasins
Biocoop et les Amis de la Terre.
Ils
avaient notamment les exigences suivantes :
-
"Le moratoire sur la commercialisation
des OGM doit être maintenu dans l'Union
Européenne tant que des actions concrètes
n'ont pas été prises pour limiter
au maximum la contamination par les OGM, pour
garantir la coexistence des différents
types d'agriculture, et pour définir
précisément la responsabilité
du contaminateur."
- "L'Union Européenne doit mettre
rapidement en place des mesures pratiques et
légales rigoureuses, visant à
protéger EFFICACEMENT et DURABLEMENT
l'agriculture biologique de la contamination
par les OGM. Nous exigeons que tout surcoût
entraîné par ces mesures soit pris
ENTIEREMENT ET EXCLUSIVEMENT en charge par les
industriels qui mettent ces OGM sur le marché".
- "L'Union Européenne doit mettre
en place une législation en matière
de responsabilité environnementale et
civile pour les dommages causés par les
OGM avant que ceux-ci ne soient autorisés
à la commercialisation. Cette législation
devra IMPERATIVEMENT assurer qu'en cas de contamination
des cultures biologiques par des OGM, celui
qui cultive les OGM à proximité
et/ou la compagnie produisant les OGM en question
seront responsables des dommages et seront tenus
à indemniser INTEGRALEMENT l'agriculteur
bio pour toutes les pertes subies : perte de
la mention " issu de l'agriculture biologique
", mesures de décontamination, etc"
- "La France doit continuer à soutenir
le moratoire".
- "Les essais en plein champ d'OGM expérimentaux
doivent être suspendus tant que le problème
de la contamination des cultures bio et conventionnelles
n'est pas maîtrisé."
- "Les agricultures biologique et conventionnelle
doivent être protégées en
créant des " Zones sans OGM ",
où la culture des plantes transgéniques
sera interdite à l'intérieur d'un
certain rayon autour des lieux de production
biologiques. Cette demande vaut aussi pour des
productions non bio, comme les AOC, les labels
rouges et celles interdisant dans leurs cahiers
de charges l'utilisation ou la présence
d'OGM".
Véronique
Bourfe-Rivière
article
basé sur un premier travail de rédaction
publié dans le magazine Consom'action
n°19
Pour
en savoir plus :
- nous
vous recommandons le site de l'association
infogm http://www.infogm.org/
, extrêmement
complet.
-et celui du crii-gen, comité de recherche
et d'information indépendantes sur le
génie génétique, présidé
par Corinne Lepage et dont le professeur Gilles-Eric
Seralini est un membre éminent : http://www.crii-gen.org